Théâtre – Les uns et les autres en huis clos

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L’enfer pour l’éternité, il faut avouer, c’est long. Quand c’est le temps d’un spectacle qui invite à une réflexion sur nos co-existences avec les autres et les miroirs qu’ils nous tendent, c’est plus vivable. Le Gest a présenté son adaptation de « Huis Clos » au Laaktheater à La Haye.

En 1943, Jean-Paul Sartre imagine un au-delà théâtral en lieu clos, une dernière demeure sans issue. Il y place trois parfaits inconnus, sans autre bagage que leur passé. Personne ne pourra quitter les lieux, ni les personnages l’espace où ils sont enfermés, ni les comédiens la scène. Que faire quand il n’y a rien à faire, sinon se soumettre à cette rencontre imposée et tenter de faire connaissance ? Se rejoue dans la mini société de ces trois morts sous cloche, ce que l’humain sait faire le mieux : le jeu des interactions, la mise en scène de soi, les apparences, la séduction, les rivalités, les jugements…

Musicienne, clown et thérapeute installée aux Pays-Bas, Sarah Lauret signe-là sa première mise en scène. En 2023, 80 ans après la publication de la pièce (autant dire une vie humaine), elle choisit une scénographie épurée et graphique. Le noir et blanc, et le plateau presque nu, permettent de ne pas situer l’intrigue à une époque donnée, nous plongent hors du temps, et élargissent la portée des développements de ce qui peut finalement faire penser à un polar. Au nom de quels crimes ces trois humains à la vie révolue, mis en dehors d’un monde qui continue à tourner sans eux, ont-ils gagné leur place en enfer ?

Etre à jamais privé de solitude et ne plus pouvoir échapper au regard des autres, c’est une épreuve, une damnation, une torture, un enfer. Sartre pousse ainsi à l’extrême l’un des aspects de notre condition d’animal social : vivre avec les autres, se construire avec, se voir à travers eux, y puiser une part de notre vérité, avoir besoin de reconnaissance. Sans énoncer de pensées philosophiques, le texte a l’intelligence de nous laisser faire le travail existentiel nous-même face à ces récits de vie incarnés. La mise en scène prend la question au sérieux mais dédramatise en apportant un peu de lumière. Une fois le parcours de chacun mis à plat, une fois les masques tombés, pourquoi ne pas tenter de tout recommencer, autrement ?

Le public accueille le travail de ce quatuor d’artistes – Sarah Lauret, Aude Cipriani, Cédric Maria, Thierry Lauret – avec beaucoup d’enthousiasme. Les effets de cette création bien cousue et jouée avec finesse par de bons comédiens se prolongent bien après le spectacle. On se nourrit de cette réflexion sur le rapport aux autres et de cette expérience de l’après avec cette chance infinie d’en revenir et d’être vivants. Quand un spectacle est bon, on se dit encore et toujours que l’art, qui se savoure collectivement, adoucit les angles d’un monde trop tranchant.

Texte et photos © Anne Leray

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